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Comme une odeur de soufre
9 avril 2017

"Red Barz" de Cardi B vous envoie vous faire pousser une troisième jambe

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Ceux qui me connaissent le savent, j'aime (un peu trop) le rap. Si le genre a su attirer mon attention, c'est avant tout pour sa grande créativité musicale et littéraire et pour son arrogance à toute épreuve. Le rap, c'est une musique qui transpire le soufre par tous les pores et le clip « Red Barz » de Cardi B en est l'exemple parfait. Ce dernier a récemment été mis en ligne sur Youtube par le site World Star Hip-Hop et nous montre la rappeuse, que je ne connaissais pas avant d'avoir vu la vidéo en question, poser une sorte d'ego-trip  en freestyle sur une instrumentale énergique (aka, bien vénère). Les plans sont simples, on y voit essentiellement Cardi B en train de rapper, entourée d'un crew majoritairement masculin, à l'exception d'une autre jeune femme. C'est là pourtant qu'est tout le génie de ce clip (et de ce morceau aussi, soyons honnêtes) : si le rap est un genre souvent taxé de misogynie, c'est effectivement parce qu'il véhicule une image dégradante de la femme (coucou Snoop Dogg et son « Can you Control your hoe ? »). En conséquence, les rappeuses se font malheureusement rares sur le devant de la scène (mais pas absentes, en France on peut citer Casey ou encore Billie Brelok) et la sexualisation n'est jamais loin lorsqu'elles y sont.

 

Ici, pourtant, Cardi B rappe. Elle ne danse pas, ne s'adonne pas à une quelconque autre activité jugée féminine et/ou sexy. Elle rappe, tout en rouge, au beau milieu de mecs de quartier, archétypes des bons gros rappeurs US, et accompagnée d'une autre jeune femme, elle aussi tout en rouge. Mieux, on la voit parfois dans sa salle de bain,devant son miroir, en soutien-gorge, encore en train de rapper et si le corps de la femme est généralement perçu dans le rap à travers sa sexualisation, ici, cependant, l'enjeu est tout autre – loin de faire comme d'habitude, Cardi B propose un plan simple et peu original, que l'on retrouve assez régulièrement chez des rappeurs masculins et s'en sert pour dénoncer de manière voilée le sexisme dans le game (si si). Son corps est anodin, déchargé de la moindre connotation par ce plan où l'accent est placé sur sa performance, sur sa manière viscérale de vivre le rap. Le message est clair : Cardi B est tellement passionnée par son art qu'elle rappe continuellement, jusque dans son intimité, devant un miroir.

 

Elle est, comme elle le dit elle-même, une « Bronx bitch birthed for the hip-hop » et l'utilisation du terme bitch mis notamment en opposition avec celui de nigga dans la punchline « You're a real nigga mad at a bitch for getting bread ? / You's a bitch from birth, you just grew a third leg (woo) » fait jouer les clichés, le stigmate du nigger (le « négro ») repris et inversé par les rappeurs répondant au stigmate de la bitch (la fille facile), dont Cardi B se saisit finalement elle-aussi pour en faire une arme d'affirmation positive. Ici, le mot bread désigne l'argent (et renvoie à un autre terme argotique synonyme, dough , littéralement la « pâte » à pain). Ce que Cardi B pointe du doigt, c'est donc le discours culpabilisant que l'on adresse aux rappeuses lorsqu'elles prétendent gagner de l'argent grâce à leur talent et à leur image et pour cela, elle joue sur une série de lieux communs de la castration, régulièrement employés dans le rap (et particulièrement dans les freestyle et les ego-trip). Ces lieux-communs, la rappeuse les renverse et les renvoie, mettant en conflit la féminité négative de ses adversaires, qui n'est que la perte d'une virilité qu'ils revendiquent tant et la sienne, positive, incarnant en somme la réussite d'une entreprise et d'une performance artistiques, indépendamment des entraves et des obstacles du genre au sein duquel elle évolue. Bon, okay, certaines mesures relèvent totalement de la sexualisation , mais Cardi B ne fait que suivre le modèle de l'ego-trip masculin. La sexualité féminine est alors présentée d'une façon crûe et sans aucun tabou, à l'instar de la sexualité masculine chez les rappeurs, devenant une métaphore et une extension du talent artistique. Si Cardi B ne fait pas disparaître un aspect controversé et pourtant fondateur du rap, elle remet au moins les pendules à l'heure.   

 

Elle s'adresse ainsi à ceux qui, dans le rap, pensent qu'une femme n'a pas sa place : ceux-là, pour elle, ne sont pas des vrais « mecs », ils sont, au mieux, des « bitch from birth » (comprenez, des émasculés) qui, en lieu de membre viril, n'ont qu'une troisième jambe (haha, notez au passage le retournement du sens figuré de l'expression « third leg » pour l'appliquer dans son sens littéral), bref, une énième itération de la pussy, l'homme sans couilles. On pourrait avancer que, certes, l'idée est cool ; que voir une femme qui rappe à propos du fait qu'elle est une véritable artiste, ayant les mêmes droits d'exercer son flow que la plupart des thugs machos du quartier, c'est plutôt rafraîchissant mais que, quand même, ce serait largement mieux si elle ne poursuivait pas par la propagation de stéréotypes carrément homophobes (parce que, ouais, dans le rap, un mec sans couilles,c'est aussi un mec qui se tape d'autres mecs et ça, apparemment, c'est pas bien). On n'aurait pas tort et c'est vraiment dommage que la remise en cause d'un tabou ne se fasse que par le renforcement involontaire d'un autre. Non, bien entendu, Cardi B ne veut certainement pas tenir des propos homophobes dans son morceau, mais l'ensemble des connatations liées à ce genre de figures castratrices et à leur emploi dans le rap teintent toutefois le discours d'une dose de discrimination. Cela étant dit, le reste du message est sympa et pas si courant que ça.

 

L'écriture du titre me rend aussi totalement dingue – elle enchaîne les punchlines et les jeux de mots, ma mesure préférée demeurant « Now he wanna nail me, I could give your man a cure ». Sérieusement, toutes les raisons pour lesquelles vous devriez écouter ce titre sont dans cette mesure. Le flow de Cardi B est précis, efficace et souligne les allitérations qui structurent son texte. L'instrumentale, quant à elle, est prenante, colle parfaitement au débit et à la voix de la rappeuse et semble s'adapter sans difficultés à sa scansion. Le clip, enfin, n'est pas du tout un chef-d'œuvre d'inventivité, loin de là. Il ressemble à plein d'autres clips de rap assez cheap, mais ce n'est pas grave du tout, parce qu'il trouve quand même un moyen de transmettre un message, d'éclairer le sens du morceau et de l'illustrer. Il rend bien compte de la hargne de la rappeuse et insiste en peu de plans sur cet ego artistique. Cardi B n'est pas une femme, ni une femme qui rappe, elle est une rappeuse depuis la naissance, avant d'être autre chose, au lieu d'être autre chose. C'est l'idée principale du morceau et le clip fonctionne pas mal du tout dans cette optique-là.

 

Ce plan avec le miroir, d'ailleurs, est cool parce que, en plus d'oser un plan commun dans les clips de rappeurs mais inévitablement soumis à une série de jugements stéréotypés chez les rappeuses et de parvenir de cette manière à le soustraire à ces jugements ; il montre une rappeuse face à son reflet, se mesurant à elle-même, reproduisant en cela une thématique agonistique (mot compliqué utilisé par les universitaires étudiant le rap pour parler de « trucs-où-on-s'affronte-lol », qui aurait fait une dénomination bien plus funky), propre aux exercices d'ego-trip, où l'on se vante toujours de soi au détriment de tous les autres. En gros, si Cardi B rappe devant son miroir, c'est parce qu'elle est tellement douée que seule elle-même peut oser se défier. Yep, elle a du cran et c'est ce qui fait toute la force de son ego-trip; le cran, le talent et l'engagement. Je vous conseille donc vivement d'écouter ce morceau. C'est une performance et la preuve que le rap peut s'aventurer dans la critique sociale en négociant en même temps avec les exigences d'un public toujours grandissant. Bien sûr, il y a aussi Lil Kim, ou Missy Elliott, les prêtresses du genre, reconnues quasi unanimement par leurs pairs et par les fans, mais le milieu du rap a encore énormément à faire et à gagner en sortant de sa misogynie habituelle, surtout quand il s'agit de valoriser des rappeuses capables en un seul freestyle de mettre tout le game à l'amende.     

 

Vous pouvez voir le clip ici:

 

 

Vous trouverez les paroles ici:

 

Cardi B - Red Barz

Red Barz Lyrics: Uh, yeah / Some regular degular, bloody bars / I swear to God, they ain't wanna see me leave the club / Got up on my shit and now they scared to show me love / They'd rather see me

https://genius.com

 

Et l'image en illustration vient de cet article:

 

 

Allow Cardi B To Reintroduce Herself With "Red Barz"

In case she didn't make it clear before, Cardi B is not fooling around with this thing called rap. Amid XXL Freshman chatter, the VIBE Viva digital cover star cut through the doubt concerning her transition to the mic with an unreleased verse on social media.

http://www.vibe.com
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