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Comme une odeur de soufre
29 mars 2017

"Sandman" ou comment le chanteur de "The Cure" est devenu le roi des rêves

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En 1989 sortait le premier numéro d'un comic qui allait bouleverser non seulement le paysage de la bande-dessinée mais aussi et surtout notre manière de raconter et de vivre des histoires. Dit comme ça, ça a l'air cliché, mais trouver les mots justes pour décrire la révolution qu'a été le Sandman de Neil Gaiman est pour moi une tâche extrêmement difficile, d'abord parce que cette œuvre a effectivement profondément changé ma vie et ma manière de concevoir un récit, ensuite parce qu'il s'agit d'un gros morceau, à l'origine même de la collection « Vertigo » de DC. Donc, revenons-en à nos moutons. Sandman, aujourd'hui, c'est une série complètement terminée. On y compte onze volumes, réunis en France dans une intégrale de sept tomes par la maison d'édition Urban comics. On peut ajouter à ça la récente préquelle, Sandman : overture, récemment traduite en français par les mêmes gars d'Urban comics.

 

Concrètement, qu'est-ce que ça raconte ? Pour résumer, nous suivons Morphée, aka le roi des rêves, qui ressemble étrangement au chanteur de "The Cure" et qui accessoirement est l'un des sept Infinis, personnifications de sept grands concepts de la vie, tels que la Mort, le Délire ou le Destin, pour ne citer qu'eux. Ce Morphée, après un mystérieux événement qui ne nous sera raconté que dans la préquelle, se retrouve affaiblit et tombe donc, au début du vingtième siècle, entre les mains d'un sorcier qui, pensant attirer à lui sa sœur, la Mort, dans l'espoir de lui dérober ses secrets, finit par emprisonner notre malheureux marchand de sable. Soixante-dix ans plus tard, ce dernier parvient cependant à se libérer et c'est alors que l'histoire commence. Son royaume est en ruine, ses attributs disséminés un peu partout dans le monde, et il lui faut ainsi se lancer dans une quête pour retrouver non seulement ses forces, mais aussi reprendre la main sur un domaine du rêve ayant fortement souffert de son absence. Tout cela, pourtant, n'est que le début d'une longue cascade d'ennuis et de défis au terme desquels Morphée, l'immortel, existant depuis la nuit des temps, devra décider s'il veut changer, évoluer pour devenir quelque chose d'autre et affronter l'inconnu ou bien, tout simplement, mourir.

 

Le problème, avec Sandman, c'est qu'on ne peut pas se contenter d'en dresser un synopsis. Ce qui est fascinant, dans cette série, c'est justement la complexité de l'intrigue, qui petit à petit se ramifie, remonte à des événements isolés, racontés de temps en temps, entre deux grands arcs narratifs, comme des one shot et qui, pourtant, composent, à rebours, une trame narrative immense, parfaitement cohérente, couvrant des dizaine de milliers d'années, le passé et le futur trouvant toujours un écho dans le présent diégétique (oui, ici, nous utilisons des mots compliqués, parce que nous avons la flemme de répéter le terme de « narration » et que la masturbation intellectuelle, c'est rigolo). En gros, dans Sandman vous croiserez Shakespeare et sa troupe qui jouent Le Songe d'une nuit d'été devant... les personnages même de la pièce, le tout sous la direction de notre monarque au regard ténébreux. Vous y rencontrerez aussi la première famille dysfonctionnelle de l'Histoire cosmique, avec Délire, enfant espiègle et dangereuse ; Désire, homme-femme, frère-soeur (les deux à la fois, oui), avatar des passions humaines ou encore Orphée, qui n'est pas du tout un Infini, mais il fallait absolument que j'en parle parce que, Dieu que j'aime Orphée et l'arc narratif qui lui est consacré, avec cette double-page de descente aux enfers où le décor, ces escaliers de pierres menaçants, déborde, sort des cases et donne l'impression de véritablement s'enfoncer dans les entrailles des enfers !

 

Pourquoi c'est bien, me demanderez-vous ? Pour pleins de raisons. Les dessins sont géniaux et chaque arc narratif propose un illustrateur différent. Dans le tome onze, Nuits éternelles, compilation de petits one shot sur les Infinis, on a même le droit à un épisode dessiné par Manara (celui sur le Désire, forcément) ! L'histoire en elle-même est passionnante, pleine de références à la culture mondiale (parce que, comble du luxe, ce n'est pas ethnocentré), abordant une impressionnante variété de thèmes, comme l'identité de genre, la manière de raconter des histoires, l'amour et les relations abusives, le destin, la folie, bref, tous les trucs qui composent nos existences humaines réunis en une seule et même série et à chaque fois traités avec talent et subtilité. Les personnages sont quant à eux attachants, effrayants (coucou le Corinthien et ses bouches à la place des yeux), drôles (salut Merwin Potiron, le seul concierge à vraiment avoir une tête de citrouille), séduisants (big-up au Désire) et souvent tout ça à la fois.

 

Si les dessinateurs changent régulièrement, le scénario demeure exclusivement de la main de Neil Gaiman et pour ceux qui ont eu l'occasion de lire ses romans... sachez que Sandman est encore meilleur. Sérieusement, vous devriez lire Sandman non pas uniquement parce que c'est une œuvre majeure de la culture des comics et de la bande-dessinée mais aussi parce que, en plus de tout ça ; en plus d'offrir un éventail vertigineux de techniques graphiques et narratives (avec une lecture accompagnée, pour ma part de « Oh putain que c'est beau bordel » toutes les dix minutes), cette série est de celles qui bouleversent radicalement nos façons d'appréhender le monde. Et puis, finalement, même si ce n'est pas gagné, on finit par s'attacher à ce personnage à la mine sombre, imbu de lui-même et têtu comme une mule qui ne souhaite que faire les choses bien, malgré les lourdes responsabilités qui lui incombent.

 

Au fond, Sandman, ça ne sent pas vraiment le soufre – plutôt l'encens, parfois, l'opium aussi, sans doute, et les cendres, définitivement. J'espère donc qu'après avoir lu tout ça, vous allez foncer sur Amazon ou à la Fnac acheter le tout premier tome de l'Intégrale et vous plonger, pour une nuit ou deux, dans le royaume des rêves en compagnie de Morphée et de ses frères et sœurs tout aussi timbrés (et pas dans le bon sens du terme héhé). Petit clin d'oeil, d'ailleurs, aux fans de la série télévisée (ou des comics) Lucifer, c'est dans un des numéros de Sandman que l'on voit apparaître pour la première fois le "plus savant et le plus beau des anges", j'ai nommé Lucifer Morningstar (et ses célèbres daddy et mommy issues).

 

Un petit avant-goût en images:

 

Un peu avant cette scène. Mort (Death): "Que fais-tu ?" Rêve (Dream): "Je nourris les pigeons"

 

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Something fishy is going on with Delirium (extrait du recueil Endless Nights):

 

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"Destiny is blind":

 

SANDMAN Nº44 PAGE 4 COLOR

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